Atelier doctoral

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Circulations de savoirs et mobilitĂ©s professionnelles depuis et vers l’Afrique de l’Ouest

Pour la huitième et dernière séance de l’Atelier doctoral “Décentrement culturel et circulation des savoirs : expériences périphériques“, nous discuterons les présentations de Hélène QUASHIE (IMAF) et Christelle HOUNSOU(URMIS)

Adresse: EHESS, 54 bd Raspail 75006 Paris (salle A06_51)

Date: jeudi 13 juin 2019, entre 15h – 17h

La blanchité vue du “Sud” : un impensé dans la construction des savoirs. Exemples anthropologiques dans l’étude des mobilités et migrations du «Nord » vers le Sénégal

Par Hélène QUASHIE (Docteure en anthropologie sociale / Institut des Mondes Africains)

Cette présentation s’appuie sur plusieurs enquêtes socio-anthropologiques au Sénégal, poursuivies depuis ma recherche doctorale. Elles concernent des mobilités et migrations à rebours de celles plus souvent étudiées. Le Sénégal attire en effet plusieurs catégories de résidents en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord, dans des contextes de tourisme résidentiel, d’entrepreneuriat économique, de mobilité pour étude ou d’expatriation professionnelle. Ces contextes sociaux sont propices à l’analyse de l’articulation des variables de classe et de race/ethnicité, voire de genre, et permettent une appréhension renouvelée de la « blanchité ». Entendue comme construction sociale, son analyse etic née des whiteness studies américaines vise à déconstruire la catégorie « blanc », à dénaturaliser les privilèges qui lui sont associés et à décrire autrement les constructions des frontières sociales entre groupes. Plus récemment interrogée dans les sociétés européennes, au regard des stigmatisations dont les migrants venus du « Sud » et leurs descendants font l’objet, la «blanchité » reste sociologiquement conçue comme une caractéristique ignorée des acteurs auxquels elle se réfère, ce qui renforce son poids dans la reproduction des inégalités et de leur racialisation. Elle apparait aussi dans des travaux qui étudient des migrations occidentales vers l’Asie, l’Amérique du Sud, et récemment le Moyen Orient. Toutefois, ils tendent à peu interroger la conception emic de la « blanchité » dans les sociétés d’installation. Or au Sénégal, comme ailleurs en Afrique, la labellisation locale d’un individu en tant que « blanc » révèle des imaginaires postcoloniaux et des enjeux socio-politiques et économiques globalisés, au-delà des représentations du marqueur chromatique. La notion de « blanchité » est mobilisée par les acteurs sociaux et imbriquée aux modes de stratification et de hiérarchie de classes. Elle désigne des styles de vie, des pratiques et privilèges et peut concerner tant des résidents venus du « Nord» (occidentaux ou africains) que des nationaux, selon des modes de distinction sociale, économique et politique et des classifications religieuses et ethniques. Prendre en compte les déclinaisons emic de la «blanchité » peut ainsi éclairer sous un jour nouveau des frontières sociales et identitaires que soulignent et/ou renforcent les processus migratoires.

MobilitĂ©s internationales de mĂ©decins originaires d’Afrique de l’Ouest francophone

Par Christelle HOUNSOU (Docteure en sociologie de l’UnitĂ© de Recherche Migrations SociĂ©tĂ©s )

En France, l’exercice de la mĂ©decine est principalement rĂ©gi par l’article L.4111-1 du code de la santĂ© publique relatif aux conditions cumulatives de nationalitĂ© du praticien (ressortissant d’un Etat membre de l’Union europĂ©enne ou partie Ă  l’accord sur l’Espace Ă©conomique europĂ©en), de nationalitĂ© et de date de dĂ©livrance du diplĂ´me d’Etat de docteur en mĂ©decine, et d’inscription au tableau d’un conseil dĂ©partemental de l’Ordre des mĂ©decins.  Or, et c’est un cas original dans le monde occidental, l’Etat français a lui-mĂŞme transgressĂ© le monopole dont bĂ©nĂ©ficient les mĂ©decins français et Ă  diplĂ´me français (europĂ©ens et Ă  diplĂ´me europĂ©en) sur le marchĂ© du travail mĂ©dical en France, en organisant le recrutement par les hĂ´pitaux publics de « non autorisĂ©s ». C’étaient des mĂ©decins Ă©trangers et/ ou Ă  diplĂ´me Ă©tranger, « non inscrits » au tableau de l’Ordre des mĂ©decins, venant majoritairement des territoires anciennement colonisĂ©s par la France en Afrique (AlgĂ©rie, Maroc, Tunisie, Madagascar, SĂ©nĂ©gal) mais aussi de Cuba, du Liban, de la Syrie, du Maroc, de la Roumanie et de la Bulgarie (la Roumanie et la Bulgarie ne font alors pas encore partie de l’Union EuropĂ©enne). Les Ă©tablissements hospitaliers les ont de plus en plus recrutĂ©s, particulièrement avec l’accĂ©lĂ©ration Ă  partir des annĂ©es 1980 (MoliniĂ©, 2005) des restructurations orientĂ©es vers la rĂ©duction des dĂ©penses de santĂ© que connaĂ®t le système hospitalier en France. Au milieu des annĂ©es 1990, la problĂ©matique des Padhue, les Praticiens Ă  diplĂ´me hors Union europĂ©enne, Ă©merge dans le dĂ©bat public. Il s’agit de mĂ©decins, mais aussi de pharmaciens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes ou d’infirmiers, tous des personnels Ă©trangers et/ou Ă  diplĂ´me Ă©tranger hors Union europĂ©enne, exerçant un mĂ©tier de soignant fermĂ© aux Ă©trangers en France recrutĂ©s par les hĂ´pitaux publics. Ils travaillent selon le statut de faisant fonction d’interne, et les statuts dĂ©diĂ©s d’assistant associĂ© et de praticien associĂ©. Mais le recours Ă  ce personnel est devenu quelque peu hors contrĂ´le, mais surtout il se fait dans des conditions plus ou moins illĂ©gales dont se rend complice l’Etat lui-mĂŞme en tant qu’employeur, ce Ă  travers les hĂ´pitaux publics. Ce dernier tente alors une première fois d’interdire le recrutement de Padhue. Il rencontre aussi bien l’opposition des praticiens qui pour certains travaillent en France depuis plus de 10 ans, que celle des hĂ´pitaux qui ne peuvent pas se passer d’eux. Suivront alors une longue pĂ©riode de rĂ©amĂ©nagement du recours français aux praticiens Ă©trangers. Il a consistĂ© simultanĂ©ment : 1) Ă  organiser la rĂ©sorption de la population des Padhue par la mise en place de procĂ©dures de reconnaissance 2) Ă  remplacer les Padhue par des mĂ©decins europĂ©ens (par exemple + 650% de mĂ©decins roumains inscrits Ă  l’Ordre des mĂ©decins entre 2007 et 2017) Ă  la faveur des règles de libre circulation de travailleurs entre les Etats de l’UE 3) Ă  rĂ©duire drastiquement des flux migratoires de praticiens hors UE arrivant en France et Ă  empĂŞcher leur installation, notamment par la mise en place d’une lĂ©gislation extrĂŞmement sĂ©lective et bureaucratisĂ©e de la circulation des mĂ©decins Ă©trangers hors UE en formation de spĂ©cialitĂ©.

Mon propos ici porte sur les effets imputables au 1), c’est-à-dire que les procédures de reconnaissance en s’accumulant, les conditions de l’exercice les accompagnant, ont produit, reproduisent et confortent des marges d’appartenance à la profession médicale. Les médecins sont alors des outsiders à plus d’un titre : étrangers, racisés, diplômés à l’étranger. L’idée ici est que les marges ne sont pas des espaces de relégation. Au contraire, ceux qui y sont cantonnés pour un temps limité peuvent y élaborer des stratégies d’intégration au groupe reconnu. Ils peuvent y trouver des ressources de légitimation face aux institutions. La communication se situe principalement du point de vue de ces praticiens à diplôme étranger. Afin de s’insérer dans la société d’accueil, ils investissent dans leur métier, le prestige de la profession médicale apportant une reconnaissance sociale qu’il s’agit de traduire en reconnaissance professionnelle (c’est-à dire par les pairs et l’Etat) Ainsi, être Padhue est théoriquement une condition «professionnelle » transitoire en attendant d’obtenir le droit à un plein exercice. Immigré et en même temps migrant hautement qualifié, praticien sous tutelle, professionnel et étudiants… Toute l’expérience migratoire des médecins étrangers et/ou à diplôme étranger semble inscrite dans les marges qu’ils composent et décomposent, avec lesquelles et dans lesquelles ils composent. Une première partie présentera le propos général de ma thèse et le cas d’étude les médecins originaires d’Afrique de l’Ouest (MoAO), sur lesquels je vais m’appuyer. Le deuxième temps de la communication montrera que d’une certainement manière, les MoAO profitent de la gestion par l’exception qui leur est appliquée pour s’installer durablement en France. Le troisième temps sera consacré à mettre l’accent sur les stratégies d’intégration par la conformation à un ethos de la profession inscrit dans la compétition et la méritocratie.

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